Bélinda Ibrahim

Sigi

Sigi

 

Je l’ai reçu comme un cadeau inespéré du ciel. Une petite chose aux yeux noirs à faire

fondre de tendresse. En le prenant la première fois dans mes bras, mille émotions
enfouies, oubliées, refoulées ont soudainement rejaillies. Un peu de maternité nostalgique,
un vent de jeunesse qui soufflait, et de la gaieté dans la maison qui vibrait. Sigi
a tout de suite pris une énorme place dans ma vie. Cette place que je refusais de céder

depuis plus de 18 ans. Il était en quelque sorte mon bébé après l’heure et le futur ami qui allait m’aimer inconditionnellement. Je savais qu’en le pouponnant nous nous adoptions mutuellement. Nous nous apprivoisions. Notre histoire a duré deux mois qui m’ont laissé un goût d’éternité.

Sigi par sa seule présence me comblait de joie. Il était coquin, malin, joueur et câlin. Il
parait que l’on est pour toujours responsable de ce que l’on a apprivoisé ?
Pour ma part, j’étais raide dingue de cette créature qui avait débarqué dans ma
vie pour la chambouler. Mes journées tournaient autour de lui, de ses repas, de
sa toilette, et de beaucoup de ménage à faire parce que le petit n’était pas  encore assez

grand pour aller à l’école et qu’il faisait quelques bêtises très vite réparées. Et puis les

rituels se sont vite installés, les câlins nocturnes dès que la maisonnée était endormie et

quelques leçons de savoir-vivre inculquées  patiemment : il fallait bien que Sigi apprenne à dire bonjour en digne fils de famille ! Et puis il avait un nom qui le destinait à un avenir

brillant : Sigi n’est rien de moins que le diminutif donné à l’inventeur de la psychanalyse Sigmund Freud par sa tendre épouse. Il devait être à la hauteur de la tâche qui l’attendait, à savoir sonder l’inconscient de son entourage.  À commencer par le mien. Ce qui est certain
c’est que sa présence à elle seule a été une thérapie en soi. À la fois belle et douloureuse,

comme toutes les choses que l’on apprend sur soi en analyse.
Sigi m’a donné en deux mois d’existence auprès de moi du bonheur si concentré que je pourrais vivre sur les réserves qu’il m’a laissées. Ces provisions d’affection que l’on garde pour les mauvais jours, il a su les graver dans moncœur.

Et puis est arrivé le temps du « choix de Sophie » et la décision de se séparer de Sigi parce qu’avec sa sœur aînée, la famille agrandie deviendrait problématique à gérer dans le futur. Et puis quand il est arrivé, on n’avait pas prévu cela… pas pensé où cela mènerait et le travail que cela occasionnerait…Il est des décisions à prendre rapidement avant que le temps ne rende les choses plus difficiles et la séparation plus dure. Chaque jour qui passait m’attachait davantage à cet exquis compagnon. Et puis très vite, dès que j’ai compris que la situation ne serait pas viable, j’ai passé le mot autour de moi pour lui trouver une famille d’accueil. Et pour un phénomène comme lui, il y avait plusieurs preneurs ! J’étais si désemparée  que j’ai cédé à la première sollicitation et j’ai prononcé les mots qui tuent : « oui, il est à vous ».
À partir du moment où j’ai fait cette promesse, j’en suis tombée malade. Le jour de son

départ, je lui ai donné le bain, préparé ses affaires et inscrit sur une liste les choses à faire

et à ne pas faire. Dire que je me suis désisté de Sigi la mort dans l’âme serait trop peu. Je l’avais investi de montagnes d’amour que j’attendais de lui en retour et qu’il m’aurait rendu cent fois, mille fois plus avec une loyauté infaillible, celle qui manque souvent cruellement dans les relations entre humains. Vous l’aurez bien deviné : Sigi est un magnifique chiot qui a quatre moi et demi et pèse aujourd’hui près de 12 kilos. Les premiers jours, je portais ses 3,400 kg presque dans une seule main. Lorsqu’il est parti et la dernière fois que je l’ai porté pour le donner à son nouveau maître, je me désistais des 12 000 tonnes d’amour que j’avais hypothéqué sur celui qu’on appelle à très juste titre le meilleur ami de l’homme. « Sigi, il s’appelle Sigi, je suis folle de lui. C'est un chien pas comme les autres. Mais moi je l'aime, c'est pas d'ma faute… »

 



07/04/2012
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