Bélinda Ibrahim

Jonathan Littell ou la face visible de «l’iceberg »*2

Le prix Goncourt 2006 pour « Les Bienveillantes »*1 en visite au Liban

Jonathan Littell ou la face visible de «l’iceberg »*

 

 

Invité au pays du Cèdre dans le cadre de l’opération « Auteurs en directs » organisée par L’Orient Littéraire en collaboration avec le CCF, Jonathan Littell a réalisé le rêve de ses 18 ans : visiter le Liban.

Il le sillonnera du Nord au Sud en compagnie de son ami et éditeur l’écrivain Richard Millet mais se montrera réservé (voire hermétique) à nos questions.

Même l’espace des trois minutes-chrono demandés avec gentillesse.

Qu’à cela ne tienne ! Le dîner en sa compagnie le temps d’une soirée au « Mijana » nous laissera l’occasion de tirer nos propres (et hâtives) conclusions sur un homme qui a certes « écrit un livre » mais se défend d’être « écrivain ». Rencontre (unilatérale !)

 

Après avoir passé une nuit blanche à essayer de trouver « la » question différente à poser au lauréat du Prix de l’Académie Française ET du Goncourt 2006 avec un premier ouvrage (un pavé saignant de 894 pages !) et pas encore quarante ans, la déception est au rendez-vous quand son voisin de droite, pourtant cordial, refuse d’emblée de « parler de son travail ».

Jonathan Littell a une allure juvénile, il est très pâle, le regard bleu et les cheveux blonds. On le prendrait pour un adolescent inachevé ; c’est un homme capricieux qui veut donner l’impression qu’il a oublié de grandir. Il ne « voulait pas de prix », (tout le monde le sait, toute la presse l’a claironné) mais qui peut (sincèrement) croire que l’idée d’une récompense aussi prestigieuse pourrait être vécue/perçue comme une punition ?

Une interprétation psy pourrait expliquer son attitude fuyante comme faisant partie de ses « mécanismes de défense » ; nous ne sommes malheureusement que des journalistes soucieux de faire partager nos moments choisis à nos lecteurs. Pas des thérapeutes. L’indulgence ne sera donc pas au rendez-vous de ce papier puisque la promesse d’en savoir un peu plus sur le phénomène de la rentrée littéraire ne pourra pas être tenue.

« Le meilleur article que vous puissiez écrire serait de récolter la somme d’énormités dites sur moi et de les réunir dans un même papier » Littell a déjà trouvé la parade à sa dérobade. Et de lui répondre : « Je m’en charge. Et si besoin est, je me ferais un plaisir d’en rajouter… »

Tranchant comme un scalpel, il donne l’impression d’être revenu de tout. Chaque tentative de lier conversation est court-circuitée par ses réponses brèves et presque murmurées, dont certaines donnent lieu à de sordides malentendus nés d’une confusion dans les termes. Exemple : « Depuis quand êtes-vous l’ami de Richard Millet ? » Littell : « Depuis qu’il médite » Question-bis (agréablement) étonnée : « vous méditez ensemble ?? » Littell : « C’est mon éditeur. » Le couperet tombe. Non seulement Jonathan Littell ne veut pas donner d’entrevue mais il s’essaye à un calcul mental à une vitesse supersonique du QI de sa voisine de table laquelle ne regrette plus du tout de s’être vu refuser l’intermède magnéto. Après tout ce n’est pas un dictaphone et la super gaffe entre « méditer » et « m’éditer » l’aurait sans doute mise dans de beaux draps.

 

« Le meilleur resto-libanais se trouve à Moscou »

 

 

L’on se rabat donc sur un terrain agréé : la cuisine libanaise et ses saveurs qui trouvent grâce au palais de Littell. Il connaît les mets un à un et les mézzés n’ont plus aucun secret pour lui.

 « À Barcelone où je suis installé depuis peu avec ma famille, je n’ai toujours pas trouvé un bon resto libanais, un palestinien en revanche, oui. » Pour quelqu’un qui n’a jamais mangé « palestinien », la différence semble difficile à détecter.

Mélomane et fan (entre autres) de Bach, il expliquera néanmoins le pourquoi des titres de ses chapitres dans « Les Bienveillantes » qui portent le nom de pièces instrumentales de différents tempo « selon la pure tradition et rigueur des compositions allemandes de Bach ». Difficile de ne pas faire mentalement le parallèle avec l’insoutenable carnage dans « Apocalypse Now » sur fond sonore de « la chevauchée des Walkyries » de Wagner.  La musique classique semble être source d’inspiration (heureusement juste pour certains) de bien d’horreurs. Mais de là à lui poser la question ? Mission impossible.

On se rabat sur encore plus soft : ses projets pour le lendemain ? « Visiter Beiteddine ! »

Le dîner sera néanmoins clôturé par une aimable dédicace sur l’ouvrage rapporté au restaurant pour l’occasion. L’homme se dédouble alors de l’auteur et n’oublie pas de rester galant.

 

                                                                                              

 

                                                                   

 

                                                                        

*) 1 Page "Femme a lu"

*) 2 blanc, glacé et glaçant.

 



26/06/2010
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